Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse, représentante de la Corse au Comité européen des régions, vice-présidente de la COTER, et professeur d’économie à l’Université de Corse.
- Après une année compliquée, les Corses sont confrontés à une rentrée difficile. Quel est votre ressenti ?
- La Corse a, d’abord, connu, plus que toute autre région, les effets de la crise sanitaire. Il y a eu, ensuite, au printemps dernier, des évènements tragiques après l’agression, puis le décès d’Yvan Colonna. Cet été, nous avons subi une tempête sans pareille dans l’histoire de l’île. Et cet automne est marqué par une inflation sans précédent depuis les années 1980. Cela fait beaucoup de chocs économiques, politiques et sociétaux pour une petite économie et une population de 345 000 habitants. Ces évènements relèvent de différents ordres, mais contribuent à alimenter la confusion, le doute et le sentiment d’injustice au sein de la société insulaire. Ce n’est pas propice au rétablissement de la sérénité nécessaire pour se projeter dans un avenir meilleur. L’histoire économique démontre que les périodes inflationnistes post-crise détériorent le climat social de manière sournoise, mais certaine. La hausse généralisée et continue des prix grève directement le pouvoir d’achat, mais affecte aussi le moral des chefs d’entreprises comme des salariés. Il n’est pas rare d’y voir associée la diffusion d’idées populistes, xénophobes et réactionnaires. Les élus, que nous sommes, doivent être très attentifs à ce climat économique et social.
- Pensez-vous que la situation économique de la Corse va se dégrader ?
- Pour l’instant, sur un plan macroéconomique, les indicateurs sont encore bons car la saison touristique a été fructueuse. Mais l’inflation, qui atteint plus de 6%, pèse déjà sur les foyers les plus précaires. Or, on compte dans l’île près de 20% de personnes en précarité monétaire. Sans compter que le salaire par habitant en Corse est déjà de 14% plus faible que sur le continent pour des prix à la consommation qui sont, à la base, plus élevés de 3,6% ! Par ailleurs, nos petites entreprises subissent de plein fouet, depuis plusieurs mois, l’augmentation des matières premières et de la facture énergétique. Elles aussi sont plus vulnérables que leurs homologues continentales du fait de l’insularité et des surcoûts que celle-ci engendre. N'oublions pas qu’elles se sont fortement endettées à la suite du COVID. Un milliard d’euros de PGE (Prêt garanti par l’Etat) a été contracté par nos entreprises. Au total, nous avons paradoxalement une économie en croissance et assez peu de chômage, mais des gens qui s’appauvrissent et des entreprises qui ont du mal à garder la tête hors de l’eau. Si l’inflation par les coûts de production persiste – et elle persistera tant que la crise ukrainienne ne sera pas réglée - et si les ménages et entreprises réduisent leur consommation, on peut se retrouver avec une situation combinant stagnation et inflation. Ce que tout économiste redoute … et que le politique doit anticiper !
- Que peut faire alors la Collectivité de Corse face à une telle situation ?
- La Collectivité de Corse fait déjà beaucoup à travers ses politiques sociales, mais aussi à travers la commande publique. Sans compter qu’elle soutient régulièrement les principaux secteurs économiques de l’île. Elle a fait preuve de beaucoup d’audace lors de la crise des Gilets Jaunes en permettant un accord historique sur le blocage des prix pour une centaine de produits de consommation courante. Pendant la crise du COVID, elle s’est aussi mobilisée de manière exceptionnelle, compte tenu de sa petite taille. Aujourd’hui, face à cette spirale inflationniste, elle a relayé les demandes de la Conférence sociale relative à la Loi sur le pouvoir d’achat et au coût du carburant en demandant que les mesures exceptionnelles de l’Etat soient proportionnées à la hauteur des différentiels de niveau de vie entre Corse et continent. Cette demande n’a pas été entendue pour l’instant. La Collectivité a, par exemple, encore innové aux côtés du CROUS pour donner aux étudiants de l’Université de Corti des repas gratuits. Ces crises nous conduisent indiscutablement à repenser nos mécanismes d’aide et de solidarité. Mais surtout, il faut modifier les conditions structurelles de production, d’importation et de distribution dans cette île… C’est sur quoi nous avons commencé à plancher avec le Ministre de l’Intérieur, il y a une dizaine de jours.
- La Corse a, d’abord, connu, plus que toute autre région, les effets de la crise sanitaire. Il y a eu, ensuite, au printemps dernier, des évènements tragiques après l’agression, puis le décès d’Yvan Colonna. Cet été, nous avons subi une tempête sans pareille dans l’histoire de l’île. Et cet automne est marqué par une inflation sans précédent depuis les années 1980. Cela fait beaucoup de chocs économiques, politiques et sociétaux pour une petite économie et une population de 345 000 habitants. Ces évènements relèvent de différents ordres, mais contribuent à alimenter la confusion, le doute et le sentiment d’injustice au sein de la société insulaire. Ce n’est pas propice au rétablissement de la sérénité nécessaire pour se projeter dans un avenir meilleur. L’histoire économique démontre que les périodes inflationnistes post-crise détériorent le climat social de manière sournoise, mais certaine. La hausse généralisée et continue des prix grève directement le pouvoir d’achat, mais affecte aussi le moral des chefs d’entreprises comme des salariés. Il n’est pas rare d’y voir associée la diffusion d’idées populistes, xénophobes et réactionnaires. Les élus, que nous sommes, doivent être très attentifs à ce climat économique et social.
- Pensez-vous que la situation économique de la Corse va se dégrader ?
- Pour l’instant, sur un plan macroéconomique, les indicateurs sont encore bons car la saison touristique a été fructueuse. Mais l’inflation, qui atteint plus de 6%, pèse déjà sur les foyers les plus précaires. Or, on compte dans l’île près de 20% de personnes en précarité monétaire. Sans compter que le salaire par habitant en Corse est déjà de 14% plus faible que sur le continent pour des prix à la consommation qui sont, à la base, plus élevés de 3,6% ! Par ailleurs, nos petites entreprises subissent de plein fouet, depuis plusieurs mois, l’augmentation des matières premières et de la facture énergétique. Elles aussi sont plus vulnérables que leurs homologues continentales du fait de l’insularité et des surcoûts que celle-ci engendre. N'oublions pas qu’elles se sont fortement endettées à la suite du COVID. Un milliard d’euros de PGE (Prêt garanti par l’Etat) a été contracté par nos entreprises. Au total, nous avons paradoxalement une économie en croissance et assez peu de chômage, mais des gens qui s’appauvrissent et des entreprises qui ont du mal à garder la tête hors de l’eau. Si l’inflation par les coûts de production persiste – et elle persistera tant que la crise ukrainienne ne sera pas réglée - et si les ménages et entreprises réduisent leur consommation, on peut se retrouver avec une situation combinant stagnation et inflation. Ce que tout économiste redoute … et que le politique doit anticiper !
- Que peut faire alors la Collectivité de Corse face à une telle situation ?
- La Collectivité de Corse fait déjà beaucoup à travers ses politiques sociales, mais aussi à travers la commande publique. Sans compter qu’elle soutient régulièrement les principaux secteurs économiques de l’île. Elle a fait preuve de beaucoup d’audace lors de la crise des Gilets Jaunes en permettant un accord historique sur le blocage des prix pour une centaine de produits de consommation courante. Pendant la crise du COVID, elle s’est aussi mobilisée de manière exceptionnelle, compte tenu de sa petite taille. Aujourd’hui, face à cette spirale inflationniste, elle a relayé les demandes de la Conférence sociale relative à la Loi sur le pouvoir d’achat et au coût du carburant en demandant que les mesures exceptionnelles de l’Etat soient proportionnées à la hauteur des différentiels de niveau de vie entre Corse et continent. Cette demande n’a pas été entendue pour l’instant. La Collectivité a, par exemple, encore innové aux côtés du CROUS pour donner aux étudiants de l’Université de Corti des repas gratuits. Ces crises nous conduisent indiscutablement à repenser nos mécanismes d’aide et de solidarité. Mais surtout, il faut modifier les conditions structurelles de production, d’importation et de distribution dans cette île… C’est sur quoi nous avons commencé à plancher avec le Ministre de l’Intérieur, il y a une dizaine de jours.
- Justement, certains pensent qu’une évolution institutionnelle ne règlera pas les problèmes du quotidien. Vous affirmez le contraire ?
- Oui ! Lors de cette réunion consacrée à la question économique et sociale, nous avons bien identifié d’où venaient les problèmes du quotidien. La cherté des loyers ? Le manque de logements ? Une pression foncière et immobilière exceptionnelle ? Peuvent-ils être réglés à droit constant ? Non ! Le prix du carburant en Corse ? Une situation monopolistique dans l’approvisionnement, le stockage et la distribution sur laquelle nous attendons encore les éclairages de l’Autorité de la concurrence. A droit constant là-encore, rien ne sera réglé ! La faiblesse des salaires ? Une économie spécialisée en tourisme et dans les services à faible valeur ajoutée, donc une productivité faible et une situation sociale des plus vulnérables. Bref, une bonne partie des problèmes du quotidien vient du fait que, dans un contexte géographique, économique et démographique contraint comme celui de la Corse, les dispositifs généraux de régulation et d’organisation de la production et des échanges sont inopérants, voire néfastes. Le droit commun, appliqué à la Corse depuis deux siècles et demi, a conduit à des mécanismes de rente, à l’absence de concurrence et à une très faible propension à innover.
- Des compensations n’ont-elles pas été mises en place pour y pallier ?
- Certes ! Des dispositifs compensatoires dans les transports et le social ont été mis en place, mais, la plupart du temps, ils ont renforcé la dépendance, les monopoles et l’assistanat. La prise de décision au plus près des réalités du territoire, la maîtrise de la fiscalité et la mobilisation de ressources nouvelles doivent permettre de gérer une réalité économique, sociale et culturelle atypique par rapport à d’autres régions. Cela est d’ailleurs démontré par d’éminents économistes : plus il y a dévolution de compétences du centre vers les régions, notamment les compétences fiscales, plus les performances économiques sont meilleures en moyenne, tout comme la qualité de vie des populations. C’est très clair ! Plus la région est autonome, plus l’augmentation du capital humain à travers la formation, l’entreprenariat et l’innovation est importante ! Or, ce sont là les véritables mécanismes d’une croissance durable et inclusive. Associés à de nouvelles formes de solidarité, elles sont pour moi synonymes d’émancipation. Il n’y a qu’à observer la trajectoire des petits Etats qui ont investi dans les nouvelles technologies, la croissance verte et … les talents !
- Dans ce contexte, qu’attendez-vous concrètement du processus de discussion à l’œuvre avec Paris ?
- Qu’est-ce-que j’attends ? Très franchement ? Ni prime, ni plan ! Mais un véritable pouvoir d’action pour changer de trajectoire économique et sociale. Je reste persuadée, au-delà de mon attachement à la reconnaissance du peuple corse et à la coofficialité de la langue corse, qu’un statut d’autonomie ne peut être que salutaire sur les plans économique et social.
- Oui ! Lors de cette réunion consacrée à la question économique et sociale, nous avons bien identifié d’où venaient les problèmes du quotidien. La cherté des loyers ? Le manque de logements ? Une pression foncière et immobilière exceptionnelle ? Peuvent-ils être réglés à droit constant ? Non ! Le prix du carburant en Corse ? Une situation monopolistique dans l’approvisionnement, le stockage et la distribution sur laquelle nous attendons encore les éclairages de l’Autorité de la concurrence. A droit constant là-encore, rien ne sera réglé ! La faiblesse des salaires ? Une économie spécialisée en tourisme et dans les services à faible valeur ajoutée, donc une productivité faible et une situation sociale des plus vulnérables. Bref, une bonne partie des problèmes du quotidien vient du fait que, dans un contexte géographique, économique et démographique contraint comme celui de la Corse, les dispositifs généraux de régulation et d’organisation de la production et des échanges sont inopérants, voire néfastes. Le droit commun, appliqué à la Corse depuis deux siècles et demi, a conduit à des mécanismes de rente, à l’absence de concurrence et à une très faible propension à innover.
- Des compensations n’ont-elles pas été mises en place pour y pallier ?
- Certes ! Des dispositifs compensatoires dans les transports et le social ont été mis en place, mais, la plupart du temps, ils ont renforcé la dépendance, les monopoles et l’assistanat. La prise de décision au plus près des réalités du territoire, la maîtrise de la fiscalité et la mobilisation de ressources nouvelles doivent permettre de gérer une réalité économique, sociale et culturelle atypique par rapport à d’autres régions. Cela est d’ailleurs démontré par d’éminents économistes : plus il y a dévolution de compétences du centre vers les régions, notamment les compétences fiscales, plus les performances économiques sont meilleures en moyenne, tout comme la qualité de vie des populations. C’est très clair ! Plus la région est autonome, plus l’augmentation du capital humain à travers la formation, l’entreprenariat et l’innovation est importante ! Or, ce sont là les véritables mécanismes d’une croissance durable et inclusive. Associés à de nouvelles formes de solidarité, elles sont pour moi synonymes d’émancipation. Il n’y a qu’à observer la trajectoire des petits Etats qui ont investi dans les nouvelles technologies, la croissance verte et … les talents !
- Dans ce contexte, qu’attendez-vous concrètement du processus de discussion à l’œuvre avec Paris ?
- Qu’est-ce-que j’attends ? Très franchement ? Ni prime, ni plan ! Mais un véritable pouvoir d’action pour changer de trajectoire économique et sociale. Je reste persuadée, au-delà de mon attachement à la reconnaissance du peuple corse et à la coofficialité de la langue corse, qu’un statut d’autonomie ne peut être que salutaire sur les plans économique et social.
- Cette rentrée est, pour vous, aussi européenne. L’Europe est-elle sensible à cette question de l’autonomie de la Corse ?
- Pour la Présidente que je suis, l’Europe est un véritable terrain d’apprentissage de l’autonomie, car je reste convaincue que l’autonomie est aussi un savoir-faire qui s’acquiert. L’autonomie des régions est une banalité au sein de l’Union européenne. Les Länder allemands et les Communautés historiques en Espagne ont une autonomie très poussée. Des pays unitaires, comme le Portugal, ont concédé une autonomie de plein droit et de plein exercice à certaines de leurs régions. Je vous rappelle que Sardaigne et Sicile sont autonomes depuis 1948. Vivent-ils moins bien que nous ? Je ne le crois pas ! Cela pose-t-il un problème aux institutions européennes ? Pas du tout ! Même lorsqu’il y a conflit au sein de l’Etat membre, le droit européen et les aides européennes s’appliquent… Au Comité européen des régions où je représente la Corse, je vous prie de croire que les élus français sont très envieux des prérogatives de leurs homologues allemands et espagnols. En fait, l’Europe s’attache plus au fonctionnement du marché et à la question des disparités économiques et sociales qu’aux statuts des régions.
- Est-ce pour cela que vous proposez un nouvel avis aux instances européennes en matière de cohésion ?
- Oui ! Je vais proposer cette semaine un avis sur une meilleure prise en compte dans la politique de cohésion de l’Union européenne des contraintes que subissent certaines régions, telles que les îles, les zones de montagne, les régions à faible densité démographique comme le prévoit l’article 174 du Traité. La rédaction de cet avis a exigé un vrai travail de recensement des contraintes subies par des territoires comme la Corse qui cumulent les trois types de contraintes - une île, montagne, faiblement peuplée - mais aussi des opportunités qui peuvent être offertes à ces territoires. Ce travail, mené auprès des instances européennes, est, à mon sens, totalement complémentaire de notre action auprès du gouvernent français dans la reconnaissance de nos spécificités.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Pour la Présidente que je suis, l’Europe est un véritable terrain d’apprentissage de l’autonomie, car je reste convaincue que l’autonomie est aussi un savoir-faire qui s’acquiert. L’autonomie des régions est une banalité au sein de l’Union européenne. Les Länder allemands et les Communautés historiques en Espagne ont une autonomie très poussée. Des pays unitaires, comme le Portugal, ont concédé une autonomie de plein droit et de plein exercice à certaines de leurs régions. Je vous rappelle que Sardaigne et Sicile sont autonomes depuis 1948. Vivent-ils moins bien que nous ? Je ne le crois pas ! Cela pose-t-il un problème aux institutions européennes ? Pas du tout ! Même lorsqu’il y a conflit au sein de l’Etat membre, le droit européen et les aides européennes s’appliquent… Au Comité européen des régions où je représente la Corse, je vous prie de croire que les élus français sont très envieux des prérogatives de leurs homologues allemands et espagnols. En fait, l’Europe s’attache plus au fonctionnement du marché et à la question des disparités économiques et sociales qu’aux statuts des régions.
- Est-ce pour cela que vous proposez un nouvel avis aux instances européennes en matière de cohésion ?
- Oui ! Je vais proposer cette semaine un avis sur une meilleure prise en compte dans la politique de cohésion de l’Union européenne des contraintes que subissent certaines régions, telles que les îles, les zones de montagne, les régions à faible densité démographique comme le prévoit l’article 174 du Traité. La rédaction de cet avis a exigé un vrai travail de recensement des contraintes subies par des territoires comme la Corse qui cumulent les trois types de contraintes - une île, montagne, faiblement peuplée - mais aussi des opportunités qui peuvent être offertes à ces territoires. Ce travail, mené auprès des instances européennes, est, à mon sens, totalement complémentaire de notre action auprès du gouvernent français dans la reconnaissance de nos spécificités.
Propos recueillis par Nicole MARI.